Page 21 - L'Actu NMCG 75
P. 21

Cyril Tournade
et Aurore de Lorgeril Nantes
    Les dommages-intérêts pour procédure abusive
Il est tentant pour la partie assignée, d’essayer de convaincre le Juge que les prétentions du demandeur sont infondées, et qu’elle est en revanche, victime d’une procédure abusive lui ouvrant droit à indemnisation.
  Tel est parfois le cas, et lorsque le caractère abusif d’une procédure est retenu, la partie qui l’a initiée peut-être condamnée à payer à l’autre, des « dommages et intérêts pour procédure abusive ».
Cette condamnation se fonde alors, sur l’article 1240 du Code Civil qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Mais par témérité ou souci d’originalité, certains espèrent obtenir des dommages-intérêts pour procédure abusive, non pas au visa de l’article 1240 du code civil, mais en application de l’article 32-1 du Code de Procédure Civile.
Ce texte prévoit en effet que : « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
Or, une telle demande n’a aucune chance de prospérer et la solution n’est pas nouvelle.
Le Tribunal de Commerce de SAINT MALO a eu l’occasion de le rappeler, dans un Jugement définitif du 16 mars 2021.
Une société de maîtrise d’œuvre, la Société C. avait assigné le maître d’ouvrage, la Société GE, pour obtenir le paiement de factures émises en exécution de la convention de maîtrise d’œuvre.
Pour s’y soustraire, le maître d’ouvrage invoquait, classiquement, une mauvaise exécution des obligations du maître d’œuvre, et sollicitait, outre le débouté de la société C. de ses demandes en paiement, sa condamnation à lui verser des dommages et intérêts en réparation de divers
préjudices, notamment, commercial et financier.
En outre, prétendant que la procédure de la société C. était abusive, le maître d’ouvrage réclamait également une indemnisation pour procédure abusive, de la manière suivante :
« Il a été démontré ci-avant le caractère totalement infondé et abusif de la demande en paiement de la société C. qu’elle a initiée par assignation du 7 août 2019.
Par conséquent, en application de l’article 32-1 du Code de Procédure Civile, le Tribunal condamnera la société C au paiement au profit de la société GE d’une amende civile d’un montant de 10.000 € ».
Mais c’était oublier que :
- D’une part, l’amende civile de l’article 32-1 du Code de Procédure Civile ne peut en aucun cas être sollicitée par le défendeur, mais seulement être suggérée au Juge, qui a seul, le pouvoir de la mettre en œuvre, s’il caractérise la faute du demandeur dans l'exercice de son droit d'agir ; il n’est donc pas possible de demander une condamnation à une amende civile,
- D’autre part et surtout, le défendeur n’a aucun intérêt pécuniaire à suggérer une telle demande, puisque par définition, le montant de l’amende civile ne lui est pas versé et ne profite qu’au Trésor Public.
C’est sans grande surprise, ce que rappelle le Tribunal de Commerce de SAINT MALO, en indiquant que :
« la demande de la société GE à son profit du montant de l’amende civile serait déjà un élément suffisant pour rendre la demande totalement irrecevable.
Compte tenu des désaccords persistants entre les deux parties, la société C exerce son droit d’agir en justice. Le caractère dilatoire ou abusif de l’action en justice n’est démontré par aucun élément de preuve, les fautes reprochées par la société GE sont l’objet du contentieux et ne relève pas d’une procédure abusive. Cette demande est donc rejetée. »
Conclusion : Montesquieu disait que « Le mieux est le mortel ennemi du bien »...
Dès lors, à condition d’en rapporter la preuve, le préjudice lié au caractère abusif d’une action en justice est traditionnellement indemnisable sur le fondement de l’article 1240 du Code Civil et il est donc inutile de tenter l’originalité d’un recours à l’article 32-1 du Code de Procédure Civile pour espérer une quelconque indemnisation à ce titre... le juge ne pourra que retoquer !
 Droit des affaires 21










































































   19   20   21   22   23