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Laurent Courtecuisse et Mathilde Charton
Paris
    Distribution sélective: l’interdiction de vente en ligne doit être indispensable
Cass. com., 26 janv. 2022, n° 19-24.464
1. L’obligation de livraison à domicile ou au magasin par le distributeur
Dans cette affaire, l’entreprise – spécialiste des produits de motoculture (tronçonneuses, débroussailleuses, etc.) – avait mis en place un système de distribution sélective pour la vente de ses produits.
Le fournisseur avait toutefois limité la vente en ligne en imposant à ses distributeurs une remise en main propre des produits jugés dangereux, achetés à distance. Les matériels devaient donc être livrés au domicile par le distributeur ou retirés en magasin, afin que l’acheteur bénéficie d’une démonstration et d’un rappel des précautions d’utilisation, justifiés par le caractère dangereux de ces produits
2. L’analyse de l’Autorité de la concurrence et de la Cour d’appel de Paris
Le 24 octobre 2018, l’Autorité de la concurrence condamnait l’entreprise à une amende de 7 millions d’euros, considérant que si la nature des produits vendus légitimait bien la mise en place d’un réseau de revendeurs agréés, l’obligation de « mise en main » imposée à ces distributeurs était toutefois constitutive d’une pratique anticoncurrentielle par objet.
Cette analyse était confirmée par la Cour d’appel de Paris qui limitait toutefois l’amende à 6 millions d’euros pour tenir compte des efforts de l’entreprise de limiter la liste des produits soumis à cette obligation.
Le principal argument, tant de l’Autorité de la concurrence que de la Cour d’appel de Paris, consiste à considérer que des mesures alternatives, moins restrictives de concurrence, auraient pu être mises en place, tout en assurant aux consommateurs le même niveau d’information sur les produits considérés comme dangereux. Il est cité l’utilisation de vidéos, de notices d’utilisation plus complètes par exemple.
En conséquence, cette obligation de « mise en main » allait au-delà de ce qui était nécessaire pour assurer une utilisation optimale et sécurisée des produits, et – facteur aggravant – elle s’appliquait indistinctement aux professionnels ou aux particuliers.
3. La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne
La Cour de justice de l’Union européenne a déjà eu l’occasion de considérer, dans le cas d’un réseau de distribution sélective de produits cosmétiques, qu’une clause interdisant de manière absolue aux distributeurs agréés de revendre les produits contractuels sur Internet, constituait une restriction par objet, si « eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n'est pas objectivement justifiée ». (CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09)
Une exception a toutefois été dégagée, quelques années plus tard, puisque la CJUE a accordé la possibilité à un fournisseur d’interdire cette revente en ligne afin de préserver l’image de luxe des produits, à nouveau dans le secteur des cosmétiques, dès lors que les conditions tenant à la nécessité et au caractère proportionné sont respectées (CJUE, 7 déc. 2017, aff. C-230/16.)
4. L’analyse de la Cour de cassation
Pour l’entreprise, cette pratique de mise en main n’était pas anticoncurrentielle par objet, et par conséquent il revenait à la cour d’examiner ses potentiels effets.
La Cour de cassation considère que si les juges du fond ont correctement rappelé que la délivrance de conseils personnalisés et la « mise en main » peuvent constituer un gain d’efficacité au sens de l’article 101 § 3 du TFUE et de l’article L. 420-4. I du code de commerce, encore faut-il que ces gains soient propres à l’accord en cause. Cela suppose donc d’analyser le caractère indispensable de l’accord et de s’assurer qu’il n’existe pas d’autres moyens économiquement réalisables et moins restrictifs
  Considérant que l’entreprise ne rapportait pas la preuve de ce caractère indispensable, mais aussi et surtout qu’il existait des alternatives à cette obligation, la Cour de cassation a donc confirmé la décision de la Cour d’appel et jugée disproportionnée l’obligation de mise en main car constitutive d’une pratique anticoncurrentielle par objet.
Droit des affaires 19















































































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