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Arnaud Blanc de la Naulte
et Tiphaine Dubé Paris
Dans les entreprises gérant un service public, un salarié peut faire grève seul s’il est couvert par un préavis de grève régulier déposé par un syndicat représentatif
(Cass. Soc. 21 avril 2022 n° 20-18.402)
Après avoir jugé que la contestation du licenciement d’un collègue n’est pas une revendication professionnelle permettant au salarié de s’absenter pour cause de grève (Cass., Soc., 6 avril 2022, n°20-21.586), la Cour de cassation est à nouveau venue apporter des précisions sur le droit de grève, cette fois, concernant les entreprises gérant un service public.
Ainsi, dans un arrêt du 21 avril 2022, la Cour de cassation juge que la cessation de travail d’un salarié pour appuyer des revendications professionnelles formulées dans le cadre d’un préavis de grève déposé par une organisations syndicale représentative dans une entreprise gérant un service public constitue une grève, peu important le fait qu’il soit le seul qui se soit déclaré gréviste.
Cette solution surprenante nécessite de se pencher précisément sur les faits de l’espèce afin de
comprendre la portée d’une telle décision.
Dans cette affaire, le syndicat d’une société gérant un service public avait déposé un préavis de grève à compter du 22 avril 2015 jusqu’à la fin de l’année 2015, couvrant l’ensemble du personnel de l’entreprise. Le salarié s’était déclaré gréviste quelques jours plus tard, le 5 mai 2015.
Or, à compter du 8 juin 2015, l’ensemble du personnel avait repris le travail, de sorte qu’il demeurait le seul gréviste au sein de l’entreprise.
C’est dans ce contexte que la Direction lui adressait un courrier de mise en demeure l’enjoignant à reprendre son poste de travail.
Le salarié refusant de retourner travailler, la société l’avait licencié pour abandon de poste.
Ce dernier a contesté la rupture de son contrat de travail, sollicitant la nullité de son licenciement pour exercice normal du droit de grève et en conséquence sa réintégration, ainsi que diverses demandes de condamnation.
Au soutien de ses demandes, il indiquait qu’il s’était joint à un préavis de grève déposé par un syndicat de l’entreprise, de sorte que la grève avait débuté collectivement. Selon lui, le fait que le mouvement ait été initialement suivi par plusieurs salariés de
l’entreprise lui permettait de poursuivre le mouvement seul.
La société considérait quant à elle que le salarié ne pouvait bénéficier de la protection attachée au mouvement de grève, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’un mouvement collectif.
Dans le cadre d’un jugement du 3 juillet 2018, le conseil de prud’hommes de Montmorency, dans sa formation de départage, a débouté le salarié de ses demandes.
Cette décision était par la suite confirmée par la cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 9 juillet 2020 qui :
• rappelait la nécessité que la grève soit suivie de façon collective sauf dans le cas où celle-ci fait suite à un mot d’ordre national ou bien si l’entreprise ne comprend qu’un seul salarié ;
• précisait que le salarié « reconnaît aux termes de ses conclusions que l’arrêt collectif de travail a cessé le 8 juin 2015, puisqu’il précise qu’à compter de cette date il s’est retrouvé 'seul salarié gréviste' », de sorte que celui-ci n’exerçait pas normalement son droit de grève ;
Droit social 9